Dans la tête d’Abdou Diouf : « Mais qu’avait donc Macky à m’appeler dans cette galère ? »

Abdou Diouf doit avoir des pensées sombres en ce moment, nous avons fait un petit voyage dans sa tête. Macky Sall a en effet convoqué publiquement son nom dans son premier discours d’après réélection. Le chargeant, avec son compère de naguère Abdoulaye Wade, de faciliter le dialogue entre le palais de l’avenue Senghor et l’opposition qui a tourné les talons à Macky Sall. Ils ont beau partager la « sérérité », d’adoption pour Macky Sall et de sa lignée paternelle pour Abdou Diouf, ce ne sont point des choses que l’on fait à son cousin. Même pas à son cousin à plaisanterie. L’a-t-il seulement consulté avant ? Non, ce ne sont pas des manières qu’on fait à un honnête homme !

Oui, Abdou Diouf l’a mauvaise. Lui qui n’aime tant que la discrétion parisienne qui lui permet de flâner dans les squares de la plus belle ville du monde sans être importuné par des fans ou des solliciteurs. Cette discrétion devenue légendaire, qui l’a vu depuis l’alternance de 2000 ne piper aucun mot public sur les péripéties politiques du pays qu’il présida?

Abdou de souffle ? Oui, Sa Longilignité Abdou Diouf a eu le souffle coupé d’être ainsi convoqué sans autre forme de procès à venir faire le juge de paix dans le marigot politique sénégalais.

Qui a pensé  à lui quand il  s’est exilé à Paris, dans un appartement exigu du 8ème prêté par le président Jacques Chirac, pendant deux longues années, après sa chute de 2000. Diouf est- il seulement encore Sénégalais ? C’est vrai qu’il a bel et bien accompli son devoir de citoyen, en votant au Consulat de Paris, lors de la présidentielle du 24 février dernier. Mais l’on se souvient qu’en 2014, dans une interview,  Abdou Diouf se présentait comme « Sahélien, Sénégalais, Wolof et négro-africain ouvert par la  francophonie au monde ». Il se susurre qu’il n’a pas de maison à son nom au Sénégal. Sa véritable patrie est désormais « la Francophonie ». Comme ce le fut, à la fin de sa vie, pour son père spirituel Léopold Senghor.

Car c’est bien cette « Francophonie », dans son versant institutionnel, qui l’a remis en selle, quand En octobre 2002,  l’enfant de Louga revient par la grande porte. Cornaqué par Chirac qui lui en fait la « demande insistante » et avec l’assentiment réticent du président Wade, Abdou Diouf est élu secrétaire général de l’OIF. En 2006 puis en 2010, les 75 chefs d’Etat et de gouvernement le reconduisent. En douze ans, Diouf aura réussi à imposer un magistère d’influence politique à la Francophonie. Il a été difficile de lui trouver un successeur de sa stature, au propre comme au figuré. Michaelle Jean a échoué dans les marais de mal-gouvernance et de l’abus de biens sociaux à la tête de l’OIF. Elle-même se voit succéder par une Louise Mushikiwabo, venu d’un Rwanda où l’anglais est la langue officielle. Bref, Abdou Diouf est un vainqueur de l’histoire. Car il laisse la plus belle trace à la tête de l’OIF et aura prouvé qu’il y a une vie après la présidence de la République, pour un chef d’Etat africain.

Alors, le ramener à nos palabres outrancières sénégalaises, vous n’y pensez pas! Pour rabibocher une classe politique avec laquelle, pour ceux qui sont ses contemporains, Abdou Diouf a soldé ses comptes dans ses « Mémoires », en quelques pages cinglantes, indexant les traitres et les ingrats ? Il s’était alors offert un luxe de vendeur froid : ne pas répondre à ceux d’entre eux qui avaient tenu à réfuter publiquement ce qu’il disait (de mal) d’eux dans ses mémoires.

Il est déjà une icône au Sénégal, où un édifice prestigieux porte son nom de son vivant : le centre international de conférences Abdou Diouf, CICAD, inauguré en sa présence, lors du 15ème Sommet de la Francophonie de novembre 2014 à Dakar, où il fait ses adieux à la scène publique sous les vivats nostalgiques de tout un peu peuple. Sa postérité gravée dans le marbre éternel et sa personne bien au loin des importuns, il viendrait gâcher cela ?

Non, décidément, c’est tout réfléchi: Abdou Diouf ne répondra pas l’appel du « Dis oui, joins ! » de Macky Sall.

Nous quittons donc la tête d’Abdou Diouf.

Damel Mor Macoumba Seck

Tract 2019