[ÉDITO, ET DIT TÔT] La « solution de continuité » contre la « putschogénie » d’une armée malienne qui sans cesse « perd le nord »  (Par Ousseynou Nar Gueye)

Ousseynou Nar Gueye

ET DIT TÔT – Les militaires putschistes maliens ont eu droit à un formidable bain de foule, hier vendredi 21 août, avec des milliers de leurs compatriotes venus les acclamer sur la Place de l’Indépendance, à Bamako. Les habitants de la « Mare au Crocodiles » (« Bamako », en bambara) fêtaient ainsi « la victoire du peuple » qu’est, selon eux, la « démission militairement assistée » du désormais ex-président IBK. Cette manifestation populaire « spontanée » s’est tenue, en fait, à l’instigation du M5-RFP, le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques, qui avait déjà, lors des trois derniers mois, fait venir des milliers de Maliens pour exiger le départ sans condition d’IBK. La figure morale du M5-RFP, l’imam Mahmoud Dicko, qui ne sera pas « sali la bouche » en prenant garde de ne jamais demander le départ d’IBK (mais plutôt celui de son Premier Ministre Boubou Cissé) a coupé court hier aux supputations qui lui prêtait un destin d’Ayatollah régnant bientôt sur le Mali, en indiquant que « sa mission est terminée » et qu’il « retourne dans les mosquées ».

« Votre mission est terminée, imam Dicko ? » C’est bien la preuve par l’aveu, aveu absurde car trop tardif, que vous ne vouliez pas autre chose que le départ forcé du président IBK. Mais votre « religiosité » vous interdisait de vous dire clairement votre opposition frontale à un pouvoir en place, les dirigeants étant toujours « choisis par Dieu », n’est-ce pas ? Bon, la duplicité de l’imam Dicko n’est pas notre sujet.

Pour en revenir à nos moutons, oui, drôle de putsch ‘‘à suffrage populaire’’ que celui de ce mardi 18 août 2020, dans la succession de coups d’Etat qu’a connu le Mali depuis 60 ans. Car l’armée malienne est clairement putschogène : 1968, 1991, 2012 et 2020.  Elle a aussi donné un président de la République galonné au pays, le général précédemment putschiste ATT, qui auréolé de la gloire d’avoir fait chuter « le dictateur » Moussa Traoré en 1991, reviendra élu dans les urnes, succédant en 2002 à Alpha Oumar Konaré, le seul président à ne pas avoir été « putsché ». Auparavant, ATT aura organisé une conférence nationale et les élections qui auront porté Konaré à Koulouba, y gagnant le surnom de « soldat de la démocratie ». Hier vendredi, en plus de pustchogénie, l’armée malienne s’est aussi laissé aller à faire admirer sa télégénie : le colonel Malick Diawara, numéro deux de la junte, a volontiers pris la pose, tout sourire, devant les caméras des photographes de l’AFP, enlacé pas ses frères d’armes et encerclé par la foule nombreuse.

Mais le rôle primordial d’une armée n’est-il pas d’abord de défendre l’intégrité du territoire ?   « Les putschistes maliens sont fêtés comme les vainqueurs d’une élection démocratique », me fait remarquer ce matin un journaliste de mes relations. Alors que des territoires entiers du pays ne sont pas sous l’impérium de la République, contrôlés qu’ils sont par des bandes armées terroristes (ou djihadistes, c’est selon). Quelles solutions à la ‘putschogénie’’ d’une armée malienne qui sans cesse « perd le nord » ?  il y a une : virer du pays Barkhane, la Minusma, Takuba et compagnie, pour que les militaires maliens aient à s’occuper de leur véritable mission, qui est de combattre l’ennemi et les envahisseurs, y compris intérieurs. C’est là la solution de continuité. Comme le lecteur le sait sans doute, contrairement à ce qu’il semble vouloir dire, le terme « solution de continuité » signifie « rupture, interruption qui se présente dans la continuité de quelque chose de concret ou d’abstrait ». Cette expression vient du vocabulaire de la chirurgie : la solution de continuité, par exemple pour une fracture : il n’y a plus de continuité dans l’os, dans le sens où il est rompu.

La force française Barkhane (5100 soldats) depuis janvier 2014, la Minusma onusienne (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali , 15000 hommes dont 12 000 militaires) depuis avril 2013 ; la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) depuis janvier 2013 avec 600 militaires ; la Mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure maliennes (EUCAP Mali) depuis janvier 2015 avec 200 agents ; la Task Force européenne Takuba (« Sabre ») initiée en juin 2019 et dont les effectifs devraient atteindre 300 militaires….Toutes ces forces armées étrangères ne devraient-elles pas prendre congé du Mali, afin que les FaMA (Forces armées maliennes » cessent de « perdre le nord », dans tous les sens du termes ? D’autant que ces forces militaires étrangères présentes sur le sol malien ne peuvent manifestement pas empêcher le désordre de s’ajouter au désordre.

Il est urgent que l’armée malienne se consacre à combattre l’ennemi (même si ennemi intérieur) pour ne plus avoir le loisir que lui laisse manifestement l’oisiveté qui est son lot, alors qu’elle est suppléée dans sa mission cardinale de protection (et de reconquête) du territoire national par les forces étrangères : fomenter des coups d’Etat tous les quatre matins. Le peuple malien qui fête, euphorique, les tombeurs d’IBK n’en sera sans doute pas d’accord, j’imagine bien. Mais c’est seulement là, peut-être, la preuve que le peuple n’a pas toujours raison. Il faut sauver le soldat malien de ses penchants naturels. Occupons les FaMA, qui, depuis la farcesque prise de pouvoir par le capitaine Amadou Haya Sanogo en 2012, ont sacrément amélioré leur art du coup d’Etat, étant de moins en moins brouillons dans l’exécution de pronunciamento. Tous au front, dans le Nord !

Ce sera là le chantier le plus urgent du prochain président civil du Mali. Car, il faudra bien finir par en élire un. Aussi belles que « le peuple » puisse trouver les tenues militaires, elles ne sont pas faites pour la parade au pouvoir.

Ousseynou Nar Gueye

Fondateur-éditeur de Tract.sn