[ÉDITO, ET DIT TÔT] « Remaniement ce dimanche : Dans la tête de Macky Sall » (par Damel Mor Macoumba Seck)

[ Édito publié une première fois le 31 octobre 2020 à 8h00] En Conseil des ministres ce mercredi 28 octobre, Macky Sall a annoncé à un gouvernement qui n’avait pas pris de vacances d’hivernage, qu’il leur donnait congé. Un congé qui ne manquera pas d’être définitif pour certains (pour beaucoup?). Même s’il y en a qui seront reconduits dans un prochain gouvernement et que ceux définitivement virés finiront bien par être repêchés dans quelques mois, à des postes de PCA, de directeurs généraux ou de « ministres-conseillers ».

Tous les ministres sont donc remerciés depuis ce mercredi. Le président Sall a rappelé lors de ce conclave « qu’on parlait de remaniement depuis plusieurs mois ». Cette phrase du chef de l’État est en fait la seule justification du congédiement de tous les ministres. Le pouvoir exécutif a lui-même organisé la diffusion de cette rumeur devenue quasi-certitude avant de se transformer en information avérée. Sinon, aucun événement institutionnel n’explique la dissolution du gouvernement : on ne sort pas d’une élection nationale, le gouvernement n’est pas tombé suite à une motion de censure à l’Assemblée, il n’y a pas recomposition de la majorité présidentielle législative, le dialogue politique difficilement cornaqué par le doyen Famara Ibrahima Sagna pour Macky Sall n’a pas rendu ne serait-ce que des prémisses de conclusions …Bref, cette dissolution est un symptôme éclatant du pouvoir exorbitant du monarque républicain que nous appelons président de la République : à tout moment, il peut chambouler la marche des institutions par la magie propitiatoire d’un décret. Le symptôme aussi d’une insécurité institutionnelle dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres d’Afrique, notamment subsaharienne.

En fait de décret, Macky Sall en a pris quatre. Puisqu’il a également libéré de leurs éminentes fonctions le ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence (Mahammad Boun Abdallah Dionne, dernier titulaire du poste supprimé de Premier ministre) ; le ministre, secrétaire général du gouvernement (Maxime Jean Simon Ndiaye), et enfin la présidente du Conseil Economique, social et Environnemental (Aminata Mimi Touré, qui fut son Premier ministre). Le président Sall « veut apporter des changements dans le gouvernement et dans les institutions », selon ses propres mots, qui ont filtré du dernier Conseil des ministres. Un communiqué du ministre conseiller en charge de la communication de la Présidence de la République, Abdou Latif Coulibaly (Avec d’ailleurs une coquille sur le premier prénom du concerné, écrit en « Abdoul » dans le communiqué), est venu résumer laconiquement l’économie de ces quatre décrets présidentiels, qui sont autant de couperets.

Quid du calendrier de formation du prochain gouvernement ? Macky Sall a annoncé qu’il voudrait apporter les changements annoncés « pour mercredi (4 novembre) prochain». On devrait avoir donc un gouvernement nommé ce week-end de Toussaint. On est au moins fixé sur l’horizon.

Il reste à savoir quel sera le cap. Et du point de vue du cap, notre analyse est que Macky Sall veut aller vers un gouvernement resserré. Il ne fera pas revenir le poste de Premier ministre, qui s’il le faisait, serait un énorme « wakh wakhèèt » et un aveu d’échec présidentiel. Sans Premier ministre, dans une présidentialisation renforcée, Macky Sall a surtout besoin d’une équipe restreinte formée de ministres avec des portefeuilles élargis, dont il peut plus facilement contrôler au quotidien l’action et la monitorer, pour deux raisons : parce que d’un côté, l’importance des maroquins qui leur seront confiés induit la taille critique propice à faire voir des résultats concrets de façon régulière (ou une insuffisance de résultats) ; ensuite, parce que la taille réduite d’un gouvernement multiplie les occasions de rencontres de reddition de comptes entre le président Sall et les ministres, de même que les opportunités de séances d’information par les ministres en direction de la représentation nationale que sont les députés, ce qui renforcera une appropriation et une compréhension de la politique du gouvernement par l’opinion publique. La seule éventualité où ce gouvernement garderait sa taille assez pléthorique de plus de 30 ministres est si Macky Sall convainc d’autres opposants non encore ralliés d’y entrer. Les regards se tournent, à cet égard, vers ses ex-frères de parti, appartenant à des partis issus des flancs de leur PDS originel.

Macky Sall devrait poursuivre son ambition de « fast track » : des ministères seront donc regroupés. Voie qu’il avait déjà initiée dans le précédent gouvernement qu’il vient de dissoudre, en regroupant les portefeuilles de la Culture et de la Communication, comme celui de l’Économie digitale et des Télécommunications. De ce point de vue, après en avoir tenté l’expérience sans succès notable, Macky Sall devrait mettre fin au saucissonnage qui a mis en place d’un côté, un ministère des Finances et du Budget, et de l’autre un ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération. Tout comme la réunification du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement Supérieur (dont les deux titulaires, Talla et Hanne, n’ont jamais convaincu) est parmi les options sur la table présidentielle.

« Changement dans le gouvernement et les institutions », a donc décrété Macky Sall. Si le président Sall a débarqué de la présidence du CESE Aminata « Mimi » Touré, qui ne cachait plus son ambition et sa détermination tranquille à postuler à la magistrature suprême en 2024 et avait fini de constituer autour d’elle un cabinet pléthorique pour servir cette ambition présidentielle, c’est bien parce que le chef de l’Etat veut laisser totalement ouverte pour lui la possibilité de briguer un troisième mandat en 2024. Ou en tout cas en maintenir l’idée constante de l’éventualité dans l’esprit de ses concitoyens. Briguer un troisième mandat, comme la Constitution sénégalaise de 2016 l’y autorise selon nombre de constitutionnalistes (au titre de la remise à zéro des compteurs). Mais comme ses propres déclarations de 2017 le lui interdisent (« C’est réglé : la Constitution dit que nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Je ne vois pas pourquoi les gens continuent d’entretenir ce débat », avait dit M. Sall), et de même que la simple morale, la jurisprudence Wade, le civisme par l’exemple et l’éthique républicaine le lui prohibent.

Hélas, il se trouve que le président Sall considère que si le peuple sénégalais et ses propres ministres et directeurs généraux acquièrent la conviction qu’il ne se représentera pas en 2024, son action politique sera fortement entravée et ses projets de développement au service du pays et ses politiques publiques seront possiblement contrecarrées, et remplacées par des chicayas au sein de sa majorité et une précoce guerre de succession pendant les trois années à venir. Lecture monarchique et autoritariste du président Sall ? C’est en tout cas la sienne. Et à cette aune, comme l’énième hirondelle du limogeage du directeur de Dakar Dem Dikk pour outrage au président par évocation du 3ème mandat (« oui, ce serait un coup d’Etat constitutionnel », avait acquiescé Me Moussa Diop sur un plateau TV) a confirmé qu’il n’y a pas de printemps politique où les partisans du président Sall pourraient s’ébattre sans le président Sall, on peut être sûr que dans le prochain gouvernement ne figureront pas les alter ego réels ou supposés de Mimi Touré en matière d’ambitions présidentielle pour 2024 : Ne seront probablement pas reconduits, ni Amadou Bâ, actuellement aux Affaires étrangères, soupçonné d’avoir les moyens financiers d’une ambition présidentielle du fait de son long passage à la Direction générale des Impôts et Domaines, suivi de sa gestion du ministère de l’Economie et des Finances, et ni Mouhamadou Makhtar Cissé, actuellement au Pétrole et aux énergies renouvelables. Même si Cissé a beau nier et faire nier par son entourage toute ambition présidentielle, et n’a eu de cesse cette année écoulée de faire diffuser l’information selon laquelle il est un « talibé » du président de la République et veut le rester. Cissé est en plus plombé par les développements interminables de l’affaire Akilee-Senelec qui l’éclabousse par ricochet. Et surtout, le président Sall ne veut pas lui laisser l’opportunité de se construire un trésor de guerre pour une éventuelle campagne électorale présidentielle, à ce ministère en charge du Pétrole où il y a de grandes manœuvres avec d’importantes transactions financières, en direction de la production des premiers barils par le Sénégal. Enfin, troisième larron de ce trio qui est dans le collimateur du président Sall, pour cause d’ambition présidentielle présumée en 2024 : Abdoulaye Daouda Diallo, actuel ministre des Finances et du Budget. Échappera-t-il au sabre du chef de l’Etat ? En plus de l’agenda caché que beaucoup prêtent à Diallo, il y a aussi que, dans la perspective probable de faire revenir à nouveau un seul et unique ministère de l’Economie et des Finances, le président Sall devra choisir entre Abdoulaye Daouda Diallo et Amadou Hott. Et dans cette configuration, c’est Amadou Hott qui tient la corde des faveurs du chef de l’Etat.

En attendant l’annonce du nouveau gouvernement, comme les ministres sortants, les habitants et surtout les entreprises du pays tout entier expédieront leurs affaires courantes, dans un contexte national où l’Etat est le premier client et le premier employeur (en termes d’emplois formels).

Damel Mor Macoumba Seck

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