[EXCLUSIF TRACT] «Iba Der Thiam , c’est un programme, c’est toute ma vie» (Doyen Ibrahima Fall dit Cadre, SUDES)

Ibrahima Fall Cadre du Sudes et son ami et camarade de syndicat, le ministre Iba Der Thiam

(Tract)- «Entre Iba Der Thiam et moi, c’est le long fleuve». Tels sont les premiers mots du doyen Ibrahima Fall dit Cadre, ex-Secrétaire général adjoint du Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal (SUDES). Syndicat dont son «ami» et «compagnon de toujours», Iba Der Thiam, a longtemps dirigé un autre proche, le SUEL puis le SELS. L’ami de toujours revient sur son long compagnonnage avec Der et parle de l’homme qu’il a connu.

«Nous étions des amis. Nous étions des compagnons de lutte de toujours. Quand j’ai rejoint le Sénégal en 1959, car avant les indépendances j’étais à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, c’est en arrivant que j’ai rencontré Iba Der Thiam dans le mouvement syndical. Et depuis lors, Dieu merci, il n’y a jamais eu de clash entre nous. Car, vous le savez, dans le syndicalisme et la politique, c’est très difficile de rester ensemble», déclare Ibrahima Fall dit Cadre.
L’ex-secrétaire général adjoint du SUDES confie que, « plus tard, au moment d’aller à la retraite, la lutte politique est arrivée dans la CDP-Garap-Gui. Mais au-dessus de tout ça, il y a nos relations personnelles. Ibar Der, ceux qui le connaissent, savent que la sphère la plus dominante chez lui, c’est sa foi religieuse, son ancrage dans l’islam. Une petite anecdote. Au moment où il préparait sa thèse de doctorat, on est sorti ensemble, c’était en 77 et j’étais à l’Ecole normale supérieur, après son agrégation, il voulait trouver un frigo. Car, il considérait que, quand il écrit, le temps qu’il met pour qu’on lui apporte ou aller prendre de l’eau lui-même dans le réfrigérateur, était une grande perte de temps pour lui. Il voulait avoir un petit frigo tout près de lui pour pouvoir se concentrer sur ses écrits».

Iba Der, très à cheval sur les préceptes de l’islam
«Nous avons fait le tour du marché, toutes les grandes avenues de Dakar, mais on n’a rien trouvé. Je lui dis, on va aller à Park Lambaye, il y a des gens qui vendent à un très bon prix. A l’époque, il y avait une boutique qui s’appelait ‘Dakaroise’, située sur l’avenue Faidherbe où les gens achetaient leur matériel et venez les revendre. J’entre et je trouve exactement ce que voulait Iba Der, je sors avec le vendeur qui me donne un papier. Là, vous savez ça gênait un peu, mais c’est la vérité historique, à l’époque les fonctionnaires de ces temps, on pouvait leur vendre quelque chose à 150 000 FCFA une marchandise, eux ils étaient là devant la porte de la ‘Dakaroise’. Iba Der m’avait demandé : ‘Mais Ibrahima, est-ce que c’est sur ça, car il rachète à vil prix pour revendre cher, ils avaient les poches bourrées d’argent. Et le fonctionnaire qui était pourchassé par les créanciers acceptaient, car le prix était bas», poursuit-il son récit.
«Quand j’ai expliqué cela Iba Der Thiam en lui disant c’est ça qu’on appelle en wolof le ‘bouki’, un mot en vogue à cette époque, il m’a dit : ‘je ne peux pas acheter ça’. Je lui dis ça ne coûte rien, car ce qu’on appelait ‘bouki’ est incompatible aux préceptes de l’islam. Quand nous sommes rentrés, j’ai expliqué cela à sa défunte première épouse. Elle m’avait dit alors : ‘tu ne connais pas toujours ton ami. Si tu le vois poser un acte qui n’est pas conforme aux préceptes de l’islam, c’est qu’il s’agit d’un domaine qu’il ne maîtrise pas’. Pour vous dire qui était Iba Der», ajoute-t-il.
De même, confie-t-il : «Nous les jeunes de la génération des années 60, on aimait visiter Soumbédioune où il y avait des objets statuettes taillés en bois. Le jour où Iba Der a su que c’était contraire aux préceptes de l’islam, il a tout pris et les a jetées dans la nature. C’est pourquoi, tu ne vois plus de statuettes dans nos maisons».

Iba Der arrêté plusieurs fois
Dans sa vie, Iba Der Thiam a souvent porté la contestation. Ce qui lui a valu plusieurs arrestations «C’était toujours pour des raisons syndicales. En 1971, nous avions déclenché une grève, dans le cadre de l’Union nationale des travailleurs du Sénégal (UNTS). C’est à la suite de cette grève que moi j’ai quitté Dakar, où j’étais d’abord à Rufisque en 69. J’étais affecté à Niarry-Tally à Alioune Diop. Et de là-bas, le ministre m’a fait tourner dans plusieurs écoles de Dakar, avant de me balancer au bord du fleuve, à Dagana. En ce moment, Ibar Der était en prison et tous les membres du syndicat étaient éparpillés sur l’ensemble du territoire national, de préférence le long du fleuve Sénégal, en Casamance. Le ministre les considérait comme des zones de vérité (…)», renseigne-t-il.
Selon lui, «c’est de là-bas que Ibar Der devait préparer la licence. Il a écrit au ministère de l’Intérieur, car le professeur Madior Diouf venait lui dispenser quelques cours. Et Jean Collin, ministre de l’Intérieur, avait refusé et Iba Der n’avait plus ses cours. Les autres jeunes étudiants qui appartiennent à la génération qui nous suivaient, ils se répartissaient les taches à la Faculté des Lettres. A l’époque, c’était le papier carbone, car il n’y avait ni machine ni photocopieuse. Et à la fin, ils rassemblaient les différents cours et faisaient parvenir les copies à Iba Der au camp Pénal où il était détenu. Il était sorti brillamment avec sa licence et beaucoup d’honneur».

Un homme très fidèle en amitié
Le doyen Fall certifie qu’Iba Der Thiam était un homme très fidèle en amitié. «Je connaissais la sympathie qu’il avait envers moi. Ce que j’ai toujours demandé à Dieu, c’est qu’Iba Der me mette à un poste où je serai inefficace. Ma première entrée en tant que titulaire dans le bureau nation du siège dans le premier syndicat où nous nous sommes retrouvés, le Syndicat unique pour l’enseignement laïc, c’était sur proposition de Iba Der Thiam. Nous avons tenu un congrès en 1967 à Saint-Louis, où il y avait trop de tensions. Et un courant semi-politique a été déclenché contre le secrétaire général, le défunt Souleymane Ndiaye, respecté par tous pour son sérieux. Et il avait dressé le profil de Iba en disant ses qualités, mais aussi ses insuffisances. Et il a proposé Iba Der comme SG et toute la salle a applaudi debout, c’était à la chambre de commerce de Saint-Louis. Et à côté de lui, il y avait notre SG adjoint, notre camarade Baba Guissé, paix à son âme. Ibar s’est installé et a dit : ‘je propose le camarade Ibrahima Fall, secrétaire chargé de l’organisation. J’était très surpris, car il n’y a pas eu d’échange à l’avance», se rappelle-t-il.
«Fidèle en amitié, d’une sympathie sur des bases objectives, on a créé le Syndicat des enseignants du Sénégal (SES) en 1968. Le nombre augmentait, année après année, et on a créé un autre syndicat qui s’appelait le Syndicat des professeurs africains du Sénégal, dirigé par notre regretté Séga Seck Sall», informe Fall.
«Quand Ibar était en prison, c’était au temps du SES. La grève va continuer jusqu’au moment où Senghor, de l’étranger, de Rome exactement, va signer le décret de la dissolution du SES sur la base des informations qu’il avait reçues».

Sa première épouse
D’après lui, la première femme de Der était «une grande dame, une grande militante. Et tout le monde l’appelait camarade. C’était une femme vaillante, engagée, simple, modeste, humble et qui était à l’aise avec tout le monde. Moi, quand j’allais à la maison, elle disait : ‘toi, tu es de la famille’».
«C’était une vraie combattante. Si ce n’était pas une femme, j’allais dire que c’était comme notre Ché Guévara. Elle accompagnait Iba Der dans son travail de recherches, son travail intellectuel, dans la préparation de ses examens. Elle était la main armée, sinon le cerveau armé de Iba Der. Elle était au four et au moulin», affirme le doyen Fall.

Vécu de la mort de Iba Der
Il marque un long silence. Puis, il dit : «Vous savez, jusqu’à présent je n’ai pas pu appeler sa veuve (voix étreinte), c’est terrible, que Dieu ait pitié de son âme». Retrouvant ensuite ses esprits, il explique : «Comment je l’ai appris, chaque nuit je consulte mon Facebook, c’est là-bas que j’ai vu l’annonce. C’était terrible. Vous savez, sur le papier, je devais avoir deux ou trois ans de plus qu’Iba, je suis né en 34. On ne pense jamais que quelqu’un de plus jeune que vous partira avant vous. Cela m’a bouleversé (il ne termine pas sa phase)».
Se reprenant, il dit : «Heureusement, son épouse ayant compris m’a appelé, mais on n’a pas pu se parler. Et je n’ai pas eu le courage de rappeler, car c’était une nouvelle foudroyante. C’est la personne qui me connaissait le plus. Iba Der, c’est un programme, c’est toute ma vie. Il était mon leader syndicaliste. Entre Iba Der Thiam et moi, c’est le long fleuve. Nous deux, c’est un fleuve plus long que le fleuve Sénégal, plus long que le fleuve Niger».
«Vous savez, dans le cadre de la politique, on sillonnait les régions, les communes, les villages. Et c’est là où j’ai remarqué qu’il était dans le cœur de tous les chefs religieux. Il était à l’aise partout. Il a construit dans les quartiers, villages, beaucoup de mosquée et d’écoles coraniques. Et n’a jamais essayé en tirer un avantage politique», témoigne-t-il.

Par Adama Aïdara KANTE

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