[Interview] Dr. Maxime Fouda : « La démocratie en Afrique n’est visiblement pas à ses beaux jours »

SENtract – Nous nous sommes entretenus avec le Dr. Maxime Fouda, consultant juridique, dont les centres d’intérêt portent entre autres sur la fiscalité et le numérique en Afrique, sur le coup d’État mené par le Lieutenant-colonel Mamady Doumbouya en Guinée Conakry. 

 

Selon vous, un 3e mandat de M. Alpha Condé serait la goutte d’eau qui a débordé ?

De toute évidence ! L’annonce du référendum de 2020, initiative pourtant louable, n’a malheureusement pas porté des fruits. En ceci que d’une part, l’objectif affiché n’était à la lecture des faits, pas réel. Et d’autre part, en plus de l’escalade constitutionnelle (le nombre de mandats alors limité à deux par la Constitution), le président Alpha C. a, en son temps, éludé la question de sa potentielle représentation à l’élection, pourtant vivement attendue par le peuple. D’où des appels à manifestation formulés par le Front national de défense de la Constitution. Cet état de choses a naturellement étiolé  la sympathie du peuple. Partant de là, sa propre succession à la magistrature suprême, fin 2020, portait d’ores et déjà les germes de ce que l’on vit aujourd’hui.

 

L’armée en général, et ses unités d’élites en particulier, seraient-elles à observer de près en Afrique subsaharienne ?

L’armée in globo, a depuis toujours été le bras séculier de l’Etat, en termes de sécurisation des hommes et des biens, dans les limites territoriales. Par ailleurs, la force de frappe d’une armée, en plus d’être un indicateur de la puissance de l’Etat, constitue un déterminant des relations internationales. Il est donc évident qu’on lui porte régulièrement un regard certain. Cependant, ce n’est pas toujours d’un mauvais œil qu’il convient d’interpréter les agissements d’une armée dans l’Etat. Car, elle peut, en plus de la mission classique de protection, se révéler moyen efficace de résolution des crises politiques comme en Guinée Conakry. Dans la mesure où rien n’exclut que le putsch marque l’onde de choc qui augure la grâce du peuple guinéen visiblement satisfait à un fort coefficient. A en croire les propos du Lt colonel Doumbouya, à l’idée de restaurer la démocratie. A partir d’une telle hypothèse, l’intervention armée serait une transition vers un nouveau gouvernement civil.

 

L’appel à ses frères d’armes par le Lieutenant colonel Mamady Doumbouya dévoilerait-il une limite d’assurance dans son entreprise ?

Limite d’assurance de son entreprise pas vraiment, mais davantage l’appel à une action concertée pour certainement « maturer » le nouvel ordre de Conakry. Le projet paraît avoir été mûrit au sein du groupement (très équipé) dont le Lt colonel Doumbouya est en charge depuis 2018. Des besoins de réussite de ce coup ne nécessitaient donc pas forcément une information plus générale de toutes les casernes. Sauf qu’à présent, l’objectif ayant été atteint, les putschistes en infériorité malgré la puissance de feu, sont loin de faire de la prise de possession du pouvoir leur affaire tous seuls.

 

Comment interpréter la décision de dissoudre en même temps la Constitution, le gouvernement et les institutions étatiques ?

C’est purement et simplement, bien qu’exprimé en des termes inappropriés (une Constitution ne se dissout pas, et la dissolution d’une institution, tel le gouvernement, n’est envisageable qu’à partir d’un référendum sur un aspect de la politique de l’équipe en place) et sous réserve de ce qui suivra, le vœu de faire table rase   et de pourvoir le pays d’une nouvelle constitution revêtue de tous ses attributs de texte fondamental.

 

Au vu de la situation en Guinée Conakry, quel est le cliché de la démocratie en Afrique ?

La démocratie en Afrique n’est visiblement pas à ses beaux jours. Des concepts inspirés par l’autre rive de l’Atlantique, se trouvent à bien des égards être de simples slogans dans plusieurs pays africains. Dès lors, la situation en Guinée Conakry interpelle à plus d’un titre. D’abord, cela invite à faire de la démocratie un outil de gouvernance et non de domination, même s’il est vrai qu’elle est l’articulation raisonnée d’un rapport de force. Ensuite, les revendications populaires portent sur la constitutionnalisation claire, de l’exigence d’alternance par la limitation de mandat au sein de nos États. Enfin, il peut être observé l’érection progressive de l’armée tel un objet en quête d’identité : une sorte de quatrième pouvoir.

 

Dans cet imbroglio, une observation à chaud sur le climat des affaires en Guinée Conakry…

D’emblée, la fermeture spontanée des frontières, alors même que les entreprises restent asphixiees du vent Covid,  rend délicat l’environnement des affaires. Dans la même veine, pour pas mal de temps, la Guinée Conakry représentera un mauvais risque, en termes d’investissements directs étrangers. 

 

Maxime Fouda, merci pour votre disponibilité.

Baltazar Atangana Noah

Chroniqueur

 

SENtract