Kamala Harris en pôle position : La potentielle vice-présidente de Joe Bien est africaine-américaine dans 3 cas sur 5

PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE – Sans aucun suspense, Joe Biden sera investi à la fin du mois d’août comme le candidat démocrate officiel pour affronter Donald Trump lors de l’élection présidentielle de novembre 2020. À cette date, il devra avoir choisi sa colistière. Au féminin, car oui, c’est bel et bien une femme que Biden veut avoir au poste de vice-présidente.

L’ancien vice-président de Barack Obama a prévenu, il veut à ce poste “quelqu’un de fort, quelqu’un qui puisse, qui soit prêt à être président immédiatement” en cas de besoin. Si le démocrate réussit à battre le républicain sortant, ce quelqu’un sera —pour la première fois de l’histoire des États-Unis— une femme, comme Joe Biden s’y est engagé dès le mois de mars.

Disons-le tout de suite, cette annonce n’était pas une main tendue à Michelle Obama, malgré les espoirs de certains. L’ex-First Lady a maintes et maintes fois catégoriquement refusé d’embrasser une carrière politique. Mais même sans cette option, Joe Biden ne manque pas de choix: treize noms circulent encore après l’abandon de la sénatrice Amy Klobuchar qui dit s’être retirée de la course pour laisser la place à une femme de couleur.

Le candidat démocrate s’est laissé jusqu’au 1er août pour faire son choix. Il lui reste donc un peu plus d’un mois pour se décider, un laps de temps assez long pour que l’actualité américaine brûlante —entre la crise sanitaire et les manifestations contre le racisme— fasse évoluer les attentes des électeurs démocrates et avec elles, la stratégie de Biden. Elizabeth Warren le sait bien, elle qui a déjà indirectement pâti de l’affaire George Floyd.

L’évidence Elizabeth Warren… avant Minneapolis

 

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Ancienne rivale de poids lors des primaires, le nom d’Elizabeth Warren a circulé comme colistière de Joe Biden dès son retrait de la course pour l’investiture démocrate. En réalité, il circule même depuis 2016, alors que Joe Biden réfléchissait à déposer sa candidature face à Bernie Sanders et Hillary Clinton.

À l’époque comme maintenant, Joe Biden, critiqué pour sa proximité avec “l’establishment” et son libéralisme économique, a sans doute considéré les nombreux avantages électoraux que lui apporterait un “ticket” Biden/Warren.

Positionnée bien plus à gauche que son ancien rival, Elizabeth Warren n’hésite pas à critiquer les sacro-saintes grandes entreprises américaines et défend ardemment des mesures pour réduire les inégalités de richesses, notamment avec une imposition plus forte des plus riches. Elle est aussi connue pour s’être opposée pendant des années au système de réglementation des faillites, jugé trop favorable aux créanciers… et imposé par un Joe Biden alors vice-président.

Cet ancrage fait de la sénatrice du Massachusetts la plus à même de séduire un électorat qui tourne résolument le dos à Joe Biden: celui de Bernie Sanders. Dans un sondage de juin 2020, 22% des électeurs de Sanders souhaitent voir Warren colistière de Joe Biden, devant Kamala Harris (18%).

Pour toutes ces raisons, Elizabeth Warren a longtemps bénéficié d’une avance confortable dans les sondages sur le choix de la colistière. Fin avril, elle bénéficiait de 78% d’approbation chez les électeurs démocrates, 13 points devant Kamala Harris à 65%.

Mais entre temps, le meurtre de George Floyd a rebattu les cartes et changé les attentes. Désormais, six électeurs démocrates sur 10 souhaitent voir une femme noire choisie comme colistière, et cela avantage fortement une autre ancienne candidate à la présidentielle: Kamala Harris.

Kamala Harris, la nouvelle favorite

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Elle aussi a été rivale de Joe Biden, avant de se retirer de la course à la présidentielle. À 55 ans, Kamala Harris figurait dès le départ dans le peloton de tête des possibles colistières. Désormais, elle est en pôle position des deux sites de paris politiques les plus renommés aux États-Unis, très loin devant Elizabeth Warren qui n’arrive plus que 4e à ce jour.

Ses avantages dans cette période de tensions raciales sont évidents: elle est la seconde sénatrice afro-américaine de l’histoire et compte parmi les femmes démocrates noires les plus connues. Qui plus est, elle n’a pas attendu les récentes manifestations contre le racisme pour remettre le sujet sur le tapis: lors d’un débat entre les candidats démocrates, elle n’avait pas hésité à attaquer Joe Biden lui-même, lui reprochant ses déclarations sur des élus ségrégationnistes.

Début avril, la côte de Kamala Harris pour rejoindre Biden a donc commencé à grimper, alimentée dans un premier temps par ses prises de position pendant l’épidémie de coronavirus. Avec l’affaire George Floyd, elle a devancé Elizabeth Warren dans les préférences des électeurs démocrates et elle réussit l’exploit de faire plus ou moins consensus parmi les soutiens d’anciens candidats: 33% des électeurs de Buttigieg et de Bloomberg voient en elle la meilleure colistière pour la vice-présidence et elle récolte aussi un score honorable de 28% chez les électeurs de Warren.

Pour autant, Kamala Harris n’est pas non plus ultra-favorite, surtout dans le climat actuel où la police et la justice américaine sont vues comme le bras armé d’un système inégalitaire à l’égard des minorités. La raison? Son passé controversé au poste de procureure générale de Californie.

En janvier 2019, la parution d’un édito au vitriol d’une professeur de droit dans le New York Times égratignait l’image de la future candidate à la présidentielle, présentée comme “souvent du mauvais côté de l’histoire lorsqu’elle était procureure”. Sont notamment évoqués l’opposition de la sénatrice au port systématique de caméras par les policiers, son refus d’un projet de loi pour imposer une enquête en cas de fusillade impliquant les forces de l’ordre, ainsi que sa procédure d’appel après qu’un juge a déclaré en 2014 l’inconstitutionnalité de la peine de mort dans l’État.

Ce bilan plus que mitigé a valu à Kamala Harris les critiques des associations de lutte pour les libertés civiles. Depuis, la sénatrice a donc tout fait pour corriger le tir. Et la mort de George Floyd lui a donné l’occasion de défendre son opinion sur la réforme pénale et de redorer son image… avec un certain succès. “Son point de vue sur le cas George Floyd, sur la façon dont ça devait être géré, ce que la justice pourrait faire… c’était un des meilleurs discours d’élus”, a ainsi jugé dans Politico un militant antiraciste, et ancien membre de la campagne Sanders. “Cela me met plus à l’aise avec l’idée de l’avoir comme choix potentiel de vice-présidente.”

Val Deming et Keisha Lance Bottoms, l’atout policier

Kamala Harris n’est cependant pas la seule femme de couleur à être bien placée sur la liste de Biden. À l’heure où la petite musique qui demande à “dé-financer la police” (“defund the police”) monte, deux autres candidates sont plébiscitées pour leurs expériences dans ce domaine.

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La première s’appelle Val Deming, représentante de la Floride à la Chambre depuis 2017. Son principal atout? Sa carrière de 27 ans au sein de la police d’Orlando, d’abord en tant qu’agent puis en tant que cheffe, pour la première fois de l’histoire de la ville. À ce poste, elle a été à l’initiative de plusieurs programmes novateurs autour du tutorat des jeunes, de l’aide à l’emploi ou d’activités collectives, qui ont permis de faire baisser les violences de près de 40%, selon les chiffres avancés sur sa page à la Chambre des représentants.

“Je suis descendante d’esclaves, qui savaient qu’eux n’y arriveraient pas, mais qui ont rêvé et prié pour qu’un jour moi j’y arrive. Alors malgré l’histoire compliquée des États-Unis, j’ai foi en la Constitution. J’ai fait respecter les lois, et maintenant j’écris les lois. Personne n’est au-dessus des lois”, avait-elle lancé lors du procès en destitution de Trump, où elle occupait un poste important.

“Son passé dans la police lui permet, de façon idéale, de soutenir à la fois les forces de l’ordre et d’évoquer très ouvertement les griefs des manifestants”, confirme à l’AFP Kyle Kondik, politologue à l’université de Virginie.

 

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Le nom de Keisha Lance Bottoms est aussi cité de plus en plus fréquemment. Inconnue à l’échelle nationale jusqu’à très récemment, la maire d’Atlanta s’est illustrée en réagissant immédiatement et fermement à la mort de Rayshard Brook, un Afro-Américain tué par un policier blanc le 12 juin dernier. Après cette énième bavure, la maire a immédiatement annoncé une réforme de la police, avec notamment une meilleure formation des agents à l’usage de la force.

“Nos agents de police doivent être des gardiens et pas des guerriers!”, a-t-elle exigé.

Selon The New York Times, Val Deming et Keisha Lance Bottoms sont considérées “très sérieusement” par l’équipe de campagne de Joe Biden, avec qui elles auraient déjà échangé.

Susan Rice, une ancienne connaissance de Biden

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Susan Rice, 55 ans, ancienne conseillère de Barack Obama, fait partie des cinq femmes dont le nom est évoqué le plus sérieusement au sein de l’équipe de Biden.

Conseillère à la sûreté nationale puis ambassadrice à l’ONU sous l’administration Obama, elle connait parfaitement Joe Biden, avec qui elle a aussi travaillé dans les années 90. À l’aise avec les rouages gouvernementaux, elle n’a cependant jamais été élue et n’a donc aucune expérience de campagne. Ce qui pourrait jouer en sa défaveur, face à des adversaires comme Donald Trump et Mike Pence, rompus à l’exercice des meetings.

Des probabilités, des possibilités et… les critères de Biden

Au-delà de ces cinq noms principaux, d’autres reviennent avec plus ou moins d’insistance. Celui de Stacey Abrams par exemple, candidate malheureuse au poste de gouverneure de Géorgie, mais dont le choix comme colistière semble de plus en plus improbable. Avant elle, Michelle Lujan Grisham, gouverneur du Nouveau-Mexique et Tammy Duckworth, sénatrice de l’Illinois et lieutenant-colonel retraitée de l’Armée étaient aussi citées. Le choix de Tammy Baldwin, première sénatrice ouvertement homosexuelle, serait aussi un symbole de diversité pour la campagne de Biden, qui l’aurait déjà approchée.

Car pour Joe Biden, riche homme blanc hétérosexuel de 77 ans, la question de la diversité est désormais un enjeu crucial. Après l’embrasement des États-Unis sur les questions raciales, la suite de la campagne ne pourra pas faire l’impasse sur ce sujet et il faut tout faire pour amener aux urnes les minorités, qui peuvent faire pencher la balance. Donald Trump lui-même l’a compris, et martèle à tout va et (à tort) qu’il a fait “plus pour les Afro-Américains que tous les autres présidents depuis Lincoln”.

Selon l’étude de l’université de Monmouth réalisée en juin, trois électeurs des primaires démocrates sur cinq estiment qu’une colistière noire aiderait Joe Biden à l’emporter. Mais le candidat démocrate, qui est déjà en tête des intentions de vote chez les minorités et les femmes américaines sans colistière déclarée, pourrait bien jouer plutôt la carte de la stratégie et choisir une femme qui lui permettra d’attirer d’autres voix qui, pour l’instant, lui font défaut.

Dans une interview le 10 juin, Joe Biden a d’ailleurs répondu par la négative à la journaliste qui lui demandait si les évènements des deux dernières semaines avaient influencé son choix de colistière.“Il est très important que la personne que vous choisissez comme VP soit en accord avec vous sur votre philosophie de gouvernement, sur les choses fondamentales que vous voulez changer”, a déclaré Joe Biden.

“Il faut aussi que cette personne ne soit pas intimidée du tout par le président. (…) Qu’elle soit prête à exprimer son opinion sans fioriture et qu’elle soit capable d’argumenter en privé avec le président en cas de désaccord.” Des critères auxquelles certaines candidates, connues pour leur forte personnalité et leur franc-parler, répondent peut-être mieux que d’autres.

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