REPORTAGE. Il y a 155 millions d’utilisateurs du réseau social en Afrique subsaharienne. Voici comment Facebook travaille son ancrage sur le continent noir.
« Je suis enthousiasmée par les perspectives d’avenir de Facebook et de notre famille d’applications ici en Afrique, ainsi que par le potentiel de ce continent jeune, mobile et dynamique », a déclaré Nunu Ntshingila, directrice régionale de Facebook Afrique en décembre, lors de la publication des investissements 2019 du groupe en Afrique subsaharienne. « J’ai hâte de créer de nouveaux partenariats en 2020 et au-delà. »Pour le grand public, le premier signal visible de l’intérêt de Facebook pour le continent date de 2015 avec l’ouverture en Afrique du Sud du premier bureau africain du réseau social crée par Mark Zuckerberg et la nomination de Nunu Ntshingila à sa tête. Cependant, certains ont toujours le sentiment que l’utilisateur africain est traité comme quantité négligeable et que Facebook est une firme américaine gérée par des Américains pour des Américains. Olivia Nloga, responsable de la communication de Facebook pour l’Afrique, dément : « Chez Facebook, il y a des Africains qui travaillent sur l’Afrique – ou sur des projets à destination des publics africains — à tous les niveaux : des ingénieurs, des communicants, des gens aux affaires publiques, des réviseurs de contenu. » Et de poursuivre : « L’Afrique n’est en aucun cas un marché mineur pour nous. »
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Programmes et partenariats
Les initiatives menées en Afrique subsaharienne ne manquent pas, comme l’indique le rapport annuel de Facebook. En 2019, plus de 7 000 entreprises appartenant à des femmes ont été formées aux compétences numériques. Facebook s’investit en effet auprès des entrepreneurs à travers des programmes comme « Boost avec Facebook » qui offre aux chefs d’entreprise des sessions de formation gratuites en marketing digital sur Facebook, WhatsApp Business et Instagram. Ce programme, qui repose sur un partenariat avec plus de 100 entreprises et institutions, a d’abord été lancé en 2017 au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud. Il s’est récemment étendu à six pays d’Afrique francophone (Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun, République démocratique du Congo, Bénin et Guinée Conakry). Facebook s’implique également auprès de la jeunesse et des développeurs. Au Nigeria par exemple, le groupe s’est associé avec l’incubateur Co-creation Hub pour créer le NG Hub, « un lieu où les startupeurs peuvent venir échanger des idées », indique Olivia Nloga. Cet espace a pour ambition d’aider le Nigeria à devenir un foyer d’innovation de haute technologie (intelligence artificielle, réalité augmentée etc.).
Un centre de révision au Kenya pour protéger les utilisateurs
Les réseaux sociaux peuvent être un réel atout pour des utilisateurs avertis et entreprenants. Mais mal régulés, ils risquent aussi de devenir le foyer de manipulations de masse. De fait, plusieurs pays africains ont dernièrement été la cible de campagnes de désinformation menées depuis Israël et depuis la Russie. Ces réseaux ont été démantelés cette année par Facebook, qui a supprimé des centaines de faux comptes, pages et groupes. En février 2019, Facebook a choisi le Kenya, considéré comme le hub numérique du continent, pour ouvrir le tout premier centre de révision de contenu en Afrique subsaharienne. Le rôle de cette infrastructure basée à Nairobi est de renforcer la sécurité de la plateforme et de ses utilisateurs africains. Une centaine de personnes sont chargées de la vérification des informations et de veiller au respect des « standards de la communauté ». Ces standards sont en quelque sorte la Bible de Facebook. Ils déterminent ce qui est autorisé ou non sur le réseau social et doivent pouvoir s’appliquer à plus de 2 milliards d’utilisateurs de tous horizons. Un vrai défi : « La prise en compte des différents contextes venant des différentes parties du monde s’effectue non seulement dans la manière dont on applique les standards de la communauté mais dès le moment où on les écrit », explique la Zimbabwéenne Fadzai Madzingira, directrice adjointe des politiques publiques chez Facebook. Son équipe se réunit régulièrement avec des experts du monde entier en forum : « Ça veut dire concrètement avoir des constitutionnalistes africains qui nous expliqueraient ce qu’implique le discours incitant à la haine dans les contextes locaux de tel ou tel pays », détaille Fadzai Madzingira. « Ces retours vont permettre d’écrire les politiques globales. »
Faible taux de signalement en Afrique subsaharienne
N’importe qui sur Facebook peut signaler un contenu s’il estime qu’il viole les standards de la communauté. Le post incriminé sera examiné puis supprimé si l’infraction est confirmée par les réviseurs. « Dans notre système, les gens doivent signaler du contenu pour qu’il soit retiré de la plateforme », souligne Fadzai Madzingira. « Et l’une des choses que nous avons constatées, c’est que l’Afrique subsaharienne a l’un des plus faibles taux de signalements, si ce n’est le plus bas, comparativement aux autres communautés dans le reste du monde. » Pourquoi ? « Les raisons peuvent être multiples : les utilisateurs pourraient ignorer que ces standards existent ou ne sont peut-être pas familiers avec la façon de signaler les contenus jugés indésirables. C’est pour ça que nous avons de nombreux programmes sur le terrain pour essayer d’éduquer les gens sur les standards de la communauté », indique la directrice adjointe des politiques publiques.
Dans la peau d’un réviseur de contenu
Fin octobre, Facebook a réuni une quarantaine de journalistes d’Afrique subsaharienne à Nairobi pour un atelier autour de ces standards. Ils ont eu à résoudre des cas pratiques en se plaçant du point de vue d’un réviseur. « Je pense que c’était une brillante initiative de nous avoir donné un aperçu de la façon dont le contenu circule sur la plateforme », a commenté Augustine Sang, journaliste kényan au Daily Nation. « En tant qu’éditeur d’informations [son journal possède une page Facebook, NDLR], c’est important pour nous de comprendre ce qu’il se passe en arrière-plan car ces décisions nous affectent tous. » Les équipes de Facebook ont l’habitude d’organiser ce genre d’atelier, mais plutôt avec des organisations de la société civile, ou encore des ONG. C’était la première fois que des journalistes étaient invités. Une démarche initiée dans un souci de transparence mais aussi pour sensibiliser aux standards de la communauté. « Ça fait également partie de cette démarche interactive de recueillir davantage d’opinions, d’avoir d’autres regards pour essayer sans cesse améliorer les standards de la communauté », précise Fadzai Madzingira.
Le fact checking étendu en Afrique
Avec la pénétration croissante d’Internet sur le continent, le phénomène de fake news prend de l’ampleur. En 2018, Facebook a lancé un programme de « fack checking », « vérification des faits », sur le continent africain en commençant par l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, le Cameroun et le Sénégal. En septembre 2019, Facebook a annoncé qu’il étendait ce programme à 8 pays supplémentaires (Éthiopie, Zambie, Somalie, Burkina Faso, Ouganda, Tanzanie, RDC et Côte d’Ivoire). Ce programme est opéré en partenariat avec des organismes tiers comme l’AFP, les Observateurs de France 24, Africa Check, Pesa Check et Dubawa. « Ils évaluent l’actualité ou le contenu », explique Olivia Nloga. « S’ils identifient une information comme étant fausse, on prend un certain nombre d’actions comme déclasser la visibilité de l’information sur Facebook, ce qui réduit de 80 % sa portée. » La vérification des faits s’effectue en français, en anglais mais aussi en somali, wolof, swahili ou encore haoussa. Ces mesures réjouissent Patricia Osman, journaliste ougandaise sur Capital Radio et participante à l’atelier organisé par Facebook. « On sait les dommages que créent les fake news, on connaît la négativité que ça a apporté. Entre le moment où quelqu’un poste une fausse information et le moment où tu la corriges, quelque chose a déjà mal tourné quelque part. » Pour que l’authenticité et la sécurité de la plateforme soient maintenues, l’engagement des utilisateurs africains de Facebook semble indispensable. Aujourd’hui, le challenge des équipes de Fadzai Madzingira est d’arriver à obtenir le maximum de retours de leur part pour établir « les meilleures politiques possibles ».