Tribune: De la République ou de quoi le Sénégal est -il le nom? (2ème partie)

Latyr Diouf

TRIBUNE- LATYR DIOUF (Convergence des Cadres Républicains)

Petite carte postale de la République du Sénégal. Le monde est majoritairement constitué de Républiques (136 pays sur les 197 reconnus par l’ONU). Leurs formes sont diverses. Elles peuvent, par exemple, être fédérale (Allemagne, Etats-Unis) ou porter une épithète qui sonne comme un pléonasme (populaire, démocratique), une restriction (islamique) ou un outrage (bananière). La République du Sénégal est unitaire (une et indivisible). Très jeune, assurément, comparée aux autres (France 1ère République 1792, Etats unis depuis 1787), elle est née le 15 novembre 1958 (je vous épargne mon hypothèse sur la corrélation avec la Constitution du 4 octobre 1958 marquant la naissance de la 5ème République française), puis, a accédé à l’indépendance le 20 août 1960. Si l’indépendance est célébrée le 4 avril, c’est en référence de la naissance de la Fédération du Mali.

Le premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, a instauré le pluralisme, par une ouverture au multipartisme, toutefois canalisée et contrôlée. Son successeur, le Président Abdou Diouf assurera, à partir de 1981, sa continuité par l’autorisation d’un multipartisme intégral. Une première alternance portera le Président Abdoulaye Wade au pouvoir en 2000 et la deuxième alternance sera incarnée par le Président Macky Sall en 2012. La bonne réputation internationale du Sénégal procède, d’une certaine manière, de sa stabilité politique, au moment où de nombreux pays africains peinent à organiser des élections libres et démocratiques et à en accepter les résultats. Le pays a connu, certes, quelques soubresauts préélectoraux et postélectoraux (1988 & 1993) mais ce n’est pas comparable aux guerres civiles qui ont fragilisé certaines nations africaines.

La devise du Sénégal traduit notre commun vouloir de vie commune, c’est-à-dire notre volonté (Une Foi), d’Unité (Un Peuple), pour la construction nationale (Un But). C’est une autre définition de la République soutenue par des symboles comme le drapeau aux trois couleurs : le Vert pour la nature et la diversité confessionnelle, l’harmonie entre les chrétiens, les musulmans et les animistes ; le Jaune pour la prospérité, l’intelligence et la créativité ; le Rouge, couleur du sang pour les sacrifices passés et futurs ; et enfin l’Etoile verte aux cinq branches, signe de l’ouverture au reste du monde. Les deux sceaux du Sénégal (Lion passant et Baobab) viennent marquer de leur empreinte tout acte relevant de la souveraineté du Peuple sénégalais. Enfin, en musique, l’Hymne nationale (le lion rouge) et l’Hymne de la Jeunesse (Niani bagn naa) viennent compléter ce patrimoine symbolique du Sénégal.

Acquis, consensus et menaces

La République est un système politique où la souveraineté appartient au peuple, qui délègue son pouvoir par élection (parfois par éviction) à une puissance publique sensée l’incarner et le représenter. A cet égard, le Sénégal dispose d’institutions diverses et variées : Présidence, Assemblée nationale, Conseil Economique Social et Environnemental, Haut Conseil des Collectivités Territoriales, Conseil du dialogue social, Cour suprême, Cour des comptes, Cours et tribunaux…Avec ce large dispositif institutionnel, toute la Nation est théoriquement représentée, le principe d’égalité et l’Etat de droit garantis, mais rien n’est jamais totalement acquis en République. Ce qui doit être n’est pas toujours. Le code n’est rien si les juges ne sont pas justes, dira encore Debray. La formule du « Sénégal Benn bop la » est une rengaine optimiste qui ne trouve pas toujours une traduction concrète puissante et utile. Elle est plus fréquente dans les parades des fêtes, dans les nombreuses cérémonies religieuses, à l’occasion des grands combats de lutte, dans des oraisons funèbres ou dans la bouche des communicateurs traditionnels. Elle est moins artificielle dans les efforts de réduction de la pauvreté du régime actuel mais les opposants sont fermés à cette réalité. On leur fera un clin d’œil à la fin.

Dans le modèle unitaire qui est le nôtre, il doit y avoir une certaine idée de la Nation qui passe par une définition du Peuple : Le Sénégal/les Sénégalais. Qu’y a-t-il derrière ces mots englobants ? Comment définir l’intérêt général des Sénégalais ? Comment faire Nation avec des individus si divers (des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des musulmans, des chrétiens, des animistes, des homosexuels, des handicapés, des pauvres, des riches, des ethnies, des mœurs, des histoires, des géographies etc….) ? Nous revoilà déjà aux origines de la question alors qu’un petit commentaire de l’actualité nous aurait épargné cette réflexion qui oscille entre le cours moyen d’instruction civique et la dissertation de classe terminale sur la République.

Il y a seulement quelques semaines, un chef religieux, et chef d’un parti politique, avait déclaré publiquement, à l’occasion d’une cérémonie filmée : « Je ne crois ni au Droit, ni à la Loi, ni à la Constitution. Je ne crois qu’au rapport de force… ». Ne dit-on pas en République, que nul n’est au-dessus de la loi ? Le fait religieux sénégalais est l’un des principaux défis de notre pacte républicain. Une République étant nécessairement laïque, démocratique et sociale, toute concession principielle la fragilise et, à terme, la tue. Or, le spirituel confrérique colonise régulièrement le temporel. Tous les espaces de liberté, de décision, de justice, de droit et de responsabilités sont envahis par des dogmes influents, anesthésiants et violents, sans que l’émoi ferme des dépositaires de la puissance publique ne vienne décourager immédiatement et ouvertement ces tentations théocratiques.

Aux conséquences préoccupantes du « fanatisme mou » (pour reprendre la juste formule d’Elgas) sur le génie du Peuple sénégalais, s’ajoute des velléités indépendantistes bientôt quarantenaires et un communautarisme aussi actif que tabou. Des groupes régionalistes ou ethniques se constituent forces politiques à travers un grégarisme d’un autre âge et trompent la vigilance républicaine avec de bonnes intentions statutaires. Pourtant, tout révèle, en définitive, que ce n’est pas le développement de tel terroir, village, quartier, département ou région qui motive, en priorité, ces bruyants et effrayants collectifs. Ils escomptent toujours une haute responsabilisation d’un des leurs, qui aurait la possibilité de les favoriser avec des moyens publics. Pour cela, ces groupes se présentent en victimes, en déshérités de la Nation, en acteurs de développement aux contributions insuffisamment reconnues, et réclament plus d’équité territoriale et de considération. Pourtant, avant les programmes spéciaux du gouvernement actuel (PUDC, PUMA, Promovilles), toutes les régions du Sénégal (sauf Dakar et peut-être Thiès) connaissaient des difficultés comparables, sans que leurs ressortissants ne recourent à cette nouvelle stratégie politicienne.

Une autre caractéristique de ces singularités aux antipodes de l’idéal républicain réside dans la fierté mise au service de la préservation de la tradition comme valeur absolue. Par exemple, un Républicain, en accord avec le principe d’égalité, peut se dire, quelle que soit son origine, qu’un homme vaut une femme en droit, et considérer que les mutilations génitales des jeunes filles ne favorisent pas l’égalité. Un autre encore peut légitimement s’insurger contre le droit d’ainesse ou la logique des castes qui causent tant d’injustices et de frustrations dans nos microcosmes. Un autre, enfin, peut trouver scandaleux le travail, l’exploitation et le mauvais traitement que subissent les enfants. Mais, à peine auraient-ils commencé à argumenter que s’abattrait sur lui la rafale sentencieuse du déracinement. Le profil de ces maitres censeurs est familier à tous ceux qui ont osé une fois réfléchir à nos inconséquences. Ils réduisent notre culture au triptyque Diné, Ada ak Thiossane avec une kyrielle de bizarreries folkloriques et fantaisistes habilement syncrétisée. Ce sont les mêmes qui tiennent le ministre des transports pour responsable des accidents de la route et accusent le Président de la République quand le poisson manque à Mbour ou quand une case brûle à Niakhar. S’ils sont instruits, leur besoin de boucs émissaires se pare de patriotisme ou de panafricanisme pour traquer tout ce qui menacerait notre souveraineté. Il n’est pas rare de les entendre, pour mieux rejeter le modèle français auquel ils assimilent ceux qu’ils considèrent comme aliénés, louer les modèles d’intégration anglo-saxons et leur tolérance légendaire face à la prolifération communautaire en République.

La République, sans les ignorer, ne reconnaît pas les particularismes. Par conséquent, pas de président sérère, de ministre lébou, de juge mouride, d’ambassadeur tidiane, de maire diola, de général soninké, de quartier layenne, de députés de la diaspora …Aucune importance numérique, non plus. Seuls compterait les citoyens et leur communauté nationale toujours supérieure aux parties qui la constituent. Une République qui transigerait avec ces principes serait défaillante.

Pour stopper net cette description/prescription qui est déjà sortie du format de prédilection de nos presses, il n’y aura pas de paragraphes sur ceux qui refusent de se plaindre par crainte de représailles ou de mauvaise réputation ; il n’y aura pas d’agents de l’Etat corrompus, ou incompétents ou considérant leurs droits supérieurs à leurs obligations ; il n’y aura pas, non plus, de gros délinquants financiers qui ont maille avec la justice et qui crient au procès politique, ni les intercessions diverses qui s’opposent à la loi en essayant de les blanchir ou en présentant les bourreaux comme des victimes…

Epilogue

La vision prospective du PSE (Plan Sénégal Emergent) à savoir « Un Sénégal émergent en 2035 avec une société solidaire dans un État de droit » est une autre définition de la République. Le Président de la République, très peu loquace parce que dans l’exécution de ce programme, avait, toutefois, rappelé ses motivations en octobre 2017. Il a réaffirmé son ambition pour le Sénégal qui reste, selon ses propres termes, l’avènement d’un Etat de droit et d’une économie solidaire, de progrès social pour le bonheur de tous. Dans le même texte, largement repris, il entend bâtir une croissance vigoureuse, durable et partagée, pour répondre aux aspirations légitimes de tous à une vie meilleure. Sa priorité, a-t-il dit, enfin, réside dans la consolidation des acquis de cette gouvernance qui tourne essentiellement autour d’un développement inclusif et solidaire.

C’est dire que depuis la naissance de son parti, dont le nom même est un reflet de sa conscience républicaine, le Président Macky Sall n’a jamais perdu de vue la nécessité de consolider l’héritage d’un modèle national qui englobe équité, démocratie et patriotisme. Le Sénégal de tous, par tous et pour tous, dont l’écho a traversé la Déclaration de Politique générale du Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, n’est pas une simple formule ou un vœu pieux. C’est un défi qui a besoin de l’appropriation citoyenne. Le travail et la responsabilité individuelle doivent contribuer à le relever. Au moment où de larges consensus s’opèrent autour du programme du Chef de l’Etat, dont les résultats sont déjà prometteurs, des oppositions marginales, armées de quelques certitudes, labellisées tout azimut économie, finances, fiscalité, budget ou ressources naturelles prétendument spoliées, amusent la galerie parlementaire et les médias. Lorsque l’agenda républicain sera officiellement ouvert à la campagne électorale, le patron de l’Alliance Pour la République, avec peu de mots, leur démontrera que la citoyenneté et le civisme sont des conquêtes qui nécessitent patience et mesure et que l’intérêt général ne se construit pas avec une somme de frustrations individuelles.

Latyr DIOUF

Vice-Coordonnateur de la Convergence des Cadres Républicains