[Tribune] DÉCRYPTAGE DES LIESSES POPULAIRES APRÈS LES COUPS D’ÉTAT OU LES CHANGEMENTS D’HOMMES À LA TÊTE DES PAYS AFRICAINS (Par Caroline Meva)

SENtract – Des images passent en boucle sur les médias depuis le dimanche 05 septembre 2021 : il s’agit des manifestations de joie des Guinéens célébrant la chute d’Alpha Condé, à la suite d’un coup d’État militaire dirigé par le Colonel Mamady Doumbouya, le nouvel homme fort de Guinée.

 

Ces scènes de liesse populaire ressemblent étrangement à celles qui ont salué d’autres coups de force militaires ou changements d’hommes au sommet des États dans plusieurs pays africains : Libéria, Nigeria, Niger, Congo, Mali, Centrafrique, Tchad, etc. Il y a fort à parier que d’ici quelques années, le colonel Doumbouya, porté aux nues aujourd’hui, soit lui-même débarqué par un coup d’État ou d’une autre manière, et l’on verra les mêmes scènes de joie saluer son départ. Ce qui est paradoxal ici c’est que les partants semblent avoir bénéficié de l’onction de leur peuple, certains ayant été réélus avec des scores très élevés, cependant les faits nous montrent qu’il ne s’agit que des apparences, éloignées de la réalité.

La réalité c’est que les inégalités, les menaces sécuritaires et les injustices sont flagrantes ; les minorités au pouvoir en Afrique s’arrogent tous les droits en occultant les devoirs, les ressources nombreuses et variées de leur pays, tandis que la grande majorité de leur population croupit dans la misère. Ces dernières vivent dans le dénuement total, privées du minimum vital, à savoir de l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à la sécurité, du manque d’infrastructures routières et autres. Ces populations miséreuses vivent très souvent sous le joug de régimes dictatoriaux qui les oppressent au quotidien, sans aucun espoir de secours, ni de la part de leurs dirigeants ni de celle des organisations politiques, économiques et sociales nationales ou internationales, qui préfèrent pactiser avec le pouvoir en place. Ces populations paupérisées, martyrisées se sentent abandonnées, au bord du désespoir, à tel point que bon nombre de ces laissés-pour-compte n’hésitent pas à risquer leur vie à travers les déserts et les mers pour aller tenter leur chance ailleurs, notamment dans les pays occidentaux.

Le nouvel homme fort qui arrive au pouvoir promet de rectifier le tir, de rétablir la justice, le respect des libertés fondamentales, l’égalité des chances et la prospérité pour tous. Après cette profession de foi, le peuple espère que cette fois-là sera la bonne, et qu’enfin ses besoins seront pris en compte, mais malheureusement, les hommes et les régimes se succèdent, mais jamais rien ne change pour lui, il demeure laissé-pour-compte. La désillusion de ce peuple est grande, car même ceux des dirigeants qui, comme Alpha Condé, ont été dans l’opposition pendant des décennies, changent totalement leur fusil d’épaule, s’installent dans les mêmes tares et dysfonctionnements qu’ils dénonçaient et combattaient hier, et parfois font pire en faisant régresser leur pays dans tous les domaines.

Cette situation est la conséquence de l’égoïsme, de la cupidité, de l’incurie des gouvernants africains, et de leur désir de confisquer éternellement le pouvoir pour eux-mêmes, leur progéniture et leurs proches, au mépris du peuple souverain. Ils sont aidés en cela par une cohorte de prébendiers prêts à tout pour conserver leur situation de rente et leurs privilèges, passés maîtres dans l’art des circonlocutions sophistes pour justifier la forfaiture de la violation des Lois Fondamentales. Le mépris du peuple est compréhensible pour ceux qui usent de manœuvres frauduleuses pour se faire élire ou pour conserver le pouvoir, notamment l’intimidation et le musellement de toute opposition, le bourrage des urnes et autres manipulations des votes. N’ayant pas été réellement été élus par ce peuple, ils ne se sentent aucune obligation vis-à-vis de lui.

La liesse populaire observée après les coups d’État et les changements de régime est en porte-à-faux avec les condamnations des institutions continentales et internationales (ONU, FMI, Banque Mondiales, Union Africaine, CEDEAO, etc.). Ceci nous amène à penser que ces structures qui condamnent ne se préoccupent pas de la situation réelle des populations des pays concernés ; par exemple elles ne font pas preuve du même zèle pour sanctionner certains coups d’État (Tchad), ni les révisions abusives des Constitutions par certains chefs d’État africains, pour des fins personnelles, à savoir, s’éterniser au pouvoir. Tant que les peuples africains seront ignorés de leurs dirigeants, et tant que ces derniers useront de moyens frauduleux pour confisquer le pouvoir à vie, il y aura toujours des coups d’État ou des changements d’hommes au sommet des États, suivis de liesses populaires. 

Caroline Meva 

Écrivaine 

 

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