[TRIBUNE] LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : UNE JUSTICE À DEUX VITESSES (Par Caroline Meva)

SENtract – L’information que relaient les médias du monde entier est le retour en Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo, ancien Président de ce pays. Ce dernier a été accusé, avec Charles Blé Goudé, ancien chef du mouvement des jeunes patriotes, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour les violences post-électorales de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Ils ont été acquittés après 10 ans passés à la prison de Scheveningen aux Pays-Bas. Ceci nous amène à nous pencher sur cette juridiction internationale : la Cour Pénale Internationale (CPI).

 

La CPI a été créée le 1er juillet 2002, à la suite du Traité de Rome, distribué sous la cote n° A/CONF.183/9, lequel Traité a été signé lors de la conférence diplomatique des Ministres Plénipotentiaires qui s’est tenue le 17 juillet 1998 à Rome en Italie. La CPI est un tribunal permanent chargé de juger les personnes responsables de génocides, de crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité. Sa compétence est limitée aux pays ayant signé et ratifié le Traité. La CPI est saisie soit par les États membres, soit par le Conseil de Sécurité. La CPI a son siège à La Haye aux Pays-Bas et est dirigée depuis le 16 juin 2021 par Karim Khan, un Avocat britannique, qui remplace à ce poste Fatou Ben Souda, arrivée à la fin de son mandat. 

A cet effet, sur les 123 pays dans le monde à avoir ratifié le Traité de Rome pour la CPI, 33 sont des États africains. Le Cameroun, quant à lui, a signé le Traité en 1998, mais ne l’a pas ratifié jusqu’à ce jour. Parmi les pays qui n’ont pas ratifié le Traité de Rome, se trouvent les États-Unis, la Russie et la Chine, 3 Etats sur les 5 que compte le Conseil de Sécurité, qui paradoxalement, est habilité à saisir la CPI, alors qu’ils n’en sont pas membres. Ces trois plus grandes puissances mondiales échappent, de ce fait, aux sanctions de la CPI, alors qu’elles sont responsables de nombreuses exactions à travers le monde, notamment en Afghanistan, en Syrie, en Irak, dans les territoires palestiniens et dans divers pays africains. Cette situation de quasi impunité dont jouissent ces puissances constitue la principale faille qui fragilise l’action de la CPI et réduit considérablement le champ de son efficacité. La CPI est l’objet de critiques : il lui est surtout reproché la focalisation de son action sur les Africains.

– L’on constate, en effet, que sur les personnes jugées à la CPI jusqu’à ce jour, 9 concernent des Africains, la dixième affaire concerne les responsables de la Yougoslavie. L’on dénonce alors une justice à deux vitesses, qui pratique le système de « deux poids, deux mesures ». 

Frédéric Megret, Professeur à la faculté de droit de l’Université McGill à Montréal au Canada, dit à cet effet : « Il y cette idée que la CPI ne s’attaque qu’à des Africains, ce qui est perçu comme une insulte pour l’Afrique et ne reflétant pas la réalité et la diversité des endroits où sont commis des crimes de droit international ». 

En évoquant le cas du Président kenyan Uhuru Kenyatta et de son Vice-Président William Ruto, inculpés par la CPI pour les violences post-électorales au Kenya en 2007, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ancien Ministre Ethiopien des Affaires Etrangères, aujourd’hui Directeur Général de l’OMS déclare : « Nous avons souligné que les Chefs d’Etat en exercice et les Gouvernements en place ne devraient pas être poursuivis tant qu’ils sont en fonction ». Ceci constitue une atteinte à la souveraineté et enfreint les dispositions des lois en vigueur dans ces États. Il y a lieu de rappeler le cas du Président Omar El Bechir du Nord Soudan, injustement traqué dans le monde entier par un mandat d’arrêt émis par la CPI, alors que ce pays n’a pas ratifié le Traité, probablement à cause de ses démêlés avec les États-Unis, membre influent du Conseil de Sécurité.

 

On a l’impression que la CPI qui se veut une institution de justice internationale, se présente en réalité comme une arme de chantage et de domination utilisée par les grandes puissances mondiales pour punir les dirigeants africains récalcitrants, qui refusent de se soumettre à leurs desiderata. La remise en cause de l’impartialité et de la crédibilité de la CPI est à l’origine du retrait de cette juridiction, de trois pays africains : la Gambie, l’Afrique du Sud et le Burundi, et la contestation gronde dans d’autres pays membres à travers le monde. Pour se départir de cette mauvaise réputation et retrouver sa crédibilité après de ses États membres, la CPI se doit impérativement de recadrer son action, en poursuivant les autres nationalités. À défaut de cela, le nombre des défections risque de s’accroître, le bateau CPI prendre de l’eau et sombrer à terme. Tout comme le Général de Gaulle, désabusé, parlant de l’ONU, on n’est pas loin de penser que la CPI est un « machin » supplémentaire inventé par les grandes puissances pour contrôler le reste du monde.  

 

Caroline Meva est une retraitée de la Fonction Publique camerounaise. Passionnée de littérature et de philosophie, elle a publié le roman Les exilés de Douma (3 tomes en 2006, 2007 et 2014). Les Supplices de la chair, publié en 2019 aux Editions Le Lys Bleu, est son dernier fait littéraire dans lequel elle raconte l’histoire d’une femme qui a mené une vie entre luxure et sacrifices parfois inhumains, pour se sortir de la pauvreté endémique de son quartier Nkanè.