[Tribune] Sénégalais et produits et services français : vrais moyens de boycott ou effet-boomerang assuré ? (Par Momar-Sokhna DIOP)

« Et si le boycott des produits français par les Sénégalais, provoque le boycott des produits sénégalais par les Français ? » Mais au fait les Sénégalais produisent quoi ? Voilà une question qui mérite d’être éclairée.

   Eh oui ce sont les discours des Présidents français qui semblent provoquer toutes ces interrogations. En effet, leurs communications ne séduisent plus les Africains. Au contraire, ils les indignent davantage. C’était le cas du discours de Dakar du Président Nicolas Sarkozy pour qui « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme noir africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

    Lors de sa conférence de presse, en marge du sommet du G20 à Hambourg en Allemagne, le 8 juillet 2017, le Président Emmanuel Macron affirmait que « quand des pays africains ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».

   Toutefois, c’est son discours sur le « séparatisme islamiste » et la nécessité de « structurer l’islam » en France qui a suscité critiques, manifestations et même appels au boycott des produits français. Mais les africains et en particuliers les Sénégalais peuvent-ils vraiment boycotter les produits français ?

   Il faut rappeler que le Sénégal joue un rôle important dans l’économie française, car une grande part des exportations de la France vers l’Afrique va à destination du Sénégal. En général, cela concerne diverses marchandises dont le blé, le lait et les produits laitiers, les produits pharmaceutiques, les automobiles, les équipements mécaniques, électriques et électroniques. Le Sénégal exporte surtout des produits agricoles, des produits halieutiques et bientôt des produits pétroliers et gaziers. 

    Le Sénégal importe plus qu’il exporte. C’est pourquoi sa balance commerciale est souvent voire toujours déficitaire.

    Dans ces conditions, comment consommer local lorsqu’on produit ce que l’on ne consomme pas et que l’on consomme ce que l’on ne produit pas ? En effet, 80% des biens et services de premières nécessités achetées par nos concitoyens sont importés ?

   Comment encourager le « consommer local » quand sa monnaie (le CFA) frappée à Chamalières, commune française située dans le département du Puy-de-Dôme, en région Auvergne-Rhône-Alpes est garantie par la France avec des conditions dévastatrices des économies locales ?

   Comment boycotter les produits d’un pays à qui vous avez délégué une grande partie de l’exploitation de vos produits halieutiques, de votre pétrole, de votre gaz, de votre phosphate, de votre eau, de votre électricité, de tous vos réseaux de télécommunication …. ? 

   Sénégalais, soyez raisonnables. Il ne faut pas « mettre la charrue avant les bœufs ». Le combat n’est pas de boycotter les produits de qui que ce soit. Il s’agit de doter le Sénégal d’un régime patriote, responsable et capable d’asseoir « une politique endogène de développement » comme l’avait recommandée le Président Mamadou Dia en 1962. 

   Cela consiste à identifier, à nouveau, les ressources du pays (Ressources humaines, naturelles, minières…) ; à mettre en place, progressivement, des politiques de transformation industrielle qui permettront de créer des emplois et de stopper l’immigration meurtrière ; à créer des valeurs ajoutées et de la croissance endogène qui, bien réparties permettront aux salariés, aux Sénégalais et aux apporteurs de capitaux de gagner décemment leur vie. 

   Une telle politique permettra également à l’Etat de mobiliser des recettes fiscales plus consistantes et de développer les infrastructures sanitaires, éducatives et de solidarité.

  C’est seulement  à partir de ce moment-là que le Sénégal pourra espérer promouvoir le consommer local et compléter ses besoins par des importations issues d’accords de partenariats plus saints et mieux équilibrés.

   Donc, il ne faut pas boycotter les produits français. Il faut d’abord travailler à produire pour s’auto suffire et à mettre, ensuite, en place avec la France voire avec les autres partenaires actuels et potentiels des « accords gagnants-gagnants », c’est-à-dire des partenariats qui favoriseront des transferts progressifs de compétences et de technologies. 

Momar-Sokhna DIOP est professeur d’économie-gestion et écrivain