Pape Diouf, ancien dirigeant sportif : « El Hadj Diouf a été un meneur, un leader, ce que Sadio Mané n’est peut-être pas ou n’est pas encore… Je suis de ceux qui pensent qu’Aliou Cissé est un très bon coach » (Entretien)

Personnalité incontestée du football mondial, Pape Diouf fait un bilan de la dernière Coupe d’Afrique. Consultant à la chaîne Canal Plus, il analyse le parcours des Lions et celui du sélectionneur Aliou Cissé, non sans oublier de donner son avis sur le meneur des Lions et star de l’équipe, Sadio Mané. Plébiscité par certains acteurs du football pour diriger la Caf ou la Fédération sénégalaise de football, l’ancien président de l’Olympique de Marseille apporte sa réponse sur cette question. Il n’oublie pas d’évoquer dans cet entretien accordé au quotidien les Echos, la situation difficile de son ancien club, l’Olympique de Marseille, avec certains supporters qui réclament son retour déjà.

Comment jugez la dernière édition de la Coupe d’Afrique des nations ? 

La dernière Can, de mon point de vue, a été assez décevante, marquée essentiellement par le nivellement des valeurs. Je pense que ce nivellement des valeurs s’est exprimé non pas par le haut, mais par le milieu, voire par le bas. Ce qui explique que des nations comme Madagascar, ou le Bénin aient pu tirer leur épingle du jeu et parfois secouer véritablement la compétition. J’avoue que ce n’est pas une compétition qui m’a personnellement enchanté. Je crois qu’il y a eu des Can beaucoup plus probantes. Je dirai simplement que l’Algérie, qui a finalement gagné, était sans doute l’équipe la plus méritante.

Comment avez-vous trouvé la percée des « petits poucets » ?
Quand les valeurs sont nivelées, ça donne des résultats inattendus. Cela a permis aux plus petits, comme on les appelle, la possibilité de batailler presque à armes égales avec les grosses écuries. Quand tout le monde joue de la même manière, quand on pense d’abord à défendre avant d’imposer son jeu, quand un peu partout c’est le jeu défensif qui est généralisé, un jeu où la philosophie est de ne pas prendre de buts, je crois que les chances sont égales pour chaque nation de réussir dans son objectif.

Êtes-vous de ceux qui voyaient le Sénégal aller jusqu’au bout de la compétition ?
Oui, évidemment, ce résultat ne pouvait me surprendre, dans la mesure où, avant chaque compétition, on détermine les favoris et parmi ces favoris, le Sénégal en comptait. Le Sénégal a dans son effectif des joueurs de classe mondiale tels que Sadio Mané et Kalidou Koulibaly, et pour cela, on était tout à fait en droit de penser que le Sénégal pouvait aller le plus loin possible, et ça n’a pas manqué du reste, le Sénégal a été en finale. On peut penser qu’il pouvait faire mieux. Il aura été moins conquérant, moins brillant que le Sénégal de 2017, mais c’est comme ça, c’est le jeu.

Comment appréciez-vous la prestation du sélectionneur Aliou Cissé ?
Je suis de ceux qui pensent que Aliou Cissé est un très bon coach, dans la mesure où depuis les indépendances, si on fait le recensement des résultats obtenus par l’équipe nationale, c’est avec lui qu’on recense les meilleurs résultats. Lui, peut-être, au moins, a obtenu des résultats meilleurs que Bruno Metsu, qui a conduit le Sénégal en finale de Coupe d’Afrique et en quart de finale de la Coupe du monde. Je ne fais pas partie des gens qui jugent à tout bout de champ le travail de Aliou Cissé. Je crois qu’il démontre son sens du métier et démontre qu’il connaît parfaitement la musique. Si un problème il y a, au Sénégal, ce n’est pas lui.

Qu’est-ce qui a bien manqué aux Lions à la dernière finale de la Can ?
( Il hésite) … Je ne sais pas ce qui leur a manqué. Peut-être ce que l’Algérie, qui dominait son sujet depuis la première journée, c’est ce qui a manqué aux Lions. Je ne sais pas si toutes les conditions étaient réunies par la direction pour permettre aux joueurs de décrocher la palme. Je ne sais pas, mais arrêtons de penser que Aliou Cissé n’est pas au niveau et que c’est de sa faute. De toute façon, depuis 1960, on n’a rien gagné, ni en équipe nationale, ni en club. Après, c’est facile de critiquer Aliou Cissé. Il faut arrêter avec cette musique, elle est complètement désuète et obsolète et puis elle n’a aucun sens.

Quel est l’avenir de ce groupe ?
J’espère que ce groupe va vivre, les joueurs ne sont pas si vieux que ça, ils sont talentueux. J’espère qu’à terme, ce groupe finira par donner enfin au peuple sénégalais la Coupe d’Afrique. Un trophée que nous n’avons jamais gagné et que des pays pourtant de moindre importance que le nôtre ont eu. Mais, pour ce faire, il faut des gens qui sont en mesure de conduire l’équipe vers le succès.

Beaucoup de Sénégalais pensent que vous détenez la formule pour amener le football vers le sommet…
Les gens peuvent le penser, sans doute à tort. Aujourd’hui, je suis en retrait de tout ce qui touche l’activité du football. Je suis très loin de tout cela. Il faut dire les choses, moi, je ne vis pas au Sénégal, donc penser que je peux venir et tout comprendre, c’est un leurre aussi. Il y a des gens qui vivent ici depuis longtemps, qui s’intéressent à tout ce qui touche l’équipe, et qui pourraient être infiniment plus compétents que moi, je pense. La preuve, El Hadji Malick Sy Souris a su conduire l’équipe en finale de la Can en 2002 et en quart de finale de la Coupe du monde. Des gens comme lui, il y en a sans doute au Sénégal. Il y a des hommes de valeur dans le pays. Personnellement, je ne pense pas être en mesure de répondre à cette demande publique, je le redis. Je suis très loin, je ne suis pas Tarzan, je ne suis pas Zorro.

Quel regard portez-vous sur les trois probables candidats au Ballon d’or africain à savoir Mané, Mahrez et Salah ?
Ils sont trois grands joueurs, chacun d’entre eux mériterait d’être couronné. Mais, c’est vrai que ça se joue sur des détails et ces détails, aujourd’hui, semblent jouer davantage entre Riyad Mahrez, champion d’Afrique et Sadio Mané, vice-champion. Mohamed Salah a connu une blessure lors de la finale de la Champions League de l’année dernière. De mon point de vue, le titre de meilleur joueur africain se jouera entre Mahrez et Sadio Mané. Maintenant, qui l’emportera, je ne sais pas.

Qu’est ce que vous pensez de l’absence de Sadio Mané sur le podium des nominés pour le joueur Uefa de l’année ?
Ce genre d’exercice peut toujours réserver des surprises. Ceux qui votent ont cette liberté de choix. Ce sont eux qu’il faut interroger. Personnellement, je n’ai pas voté, je ne sais pas sur quels critères ils se sont appuyés pour le faire. Donc, on peut légitimement s’étonner. Sadio, théoriquement, devrait en faire partie. Mais je ne sais pas sincèrement pourquoi il n’a pas été désigné. Évidemment, nous, Sénégalais, sommes étonnés de ne pas le voir sur le podium. Maintenant, on peut penser est-ce que ceux qui sont sur le podium sont méritants, je préfère ne pas juger du tout.

Pensez-vous qu’un Africain gagnerait de nouveau le Ballon d’or ?
Je crois que pour gagner ce trophée, il faut le mériter. N’oublions pas qu’il y a beaucoup de journalistes africains qui votent, ce n’est pas seulement les Européens. Il y a des votes et ce sont ces votes qui déterminent le lauréat du Ballon d’or. Avant, il était européen, mais maintenant, il ne l’est plus. Georges Weah a été le premier Africain à remporter ce trophée. Ce n’est plus le Ballon d’or européen mais mondial.

D’aucuns disent que Sadio Mané est le meilleur joueur sénégalais de tous les temps, partagez-vous cette opinion ?
Difficile peut-être de dire que Sadio Mané est le meilleur joueur sénégalais de tous les temps. El Hadji Diouf était quand même un très grand joueur. Je peux dire qu’il a su, plus que Sadio Mané, s’investir au sein de l’équipe nationale. Diouf a été un meneur, un leader, ce que Sadio n’est peut-être pas ou n’est pas encore. Pour moi, un grand joueur, c’est celui qui influence toute son équipe. Et de ce point de vue-là, on attend effectivement de Sadio qu’il soit cet élément d’élite qu’il n’est pas tout à fait pour l’heure. Dire que c’est lui le meilleur joueur sénégalais de tous les temps relève aussi de classements très spécieux. Je peux citer d’autres noms comme Matar Niang, qui a été un très grand joueur aux Espoirs de Dakar, d’autres diront Bocandé. Peut-être qu’aujourd’hui, Sadio joue dans un des plus grands clubs européens et garde une certaine régularité. Oui, sans doute, il fait partie du top 5 des meilleurs joueurs sénégalais de tous les temps. Mais dire que c’est lui le meilleur de tous les temps, je ne me risquerai pas à cela.

Comment jugez-vous le mercato dans l’ensemble ?
Le mercato, chaque année, connaît des évolutions. Depuis que le Paris Saint Germain a acheté Neymar au Barça pour 220 millions d’euros, il y a comme une forme de dérégulation. Les joueurs sont devenus excessivement chers aujourd’hui, beaucoup plus chers qu’il y a seulement trois ans. c’est dû à cette dérégulation. C’est un mercato qui est assez étrange, mais force est de reconnaître que c’est l’évolution du football qui le veut.

Certains supporters de Marseille réclament votre retour, répondrez-vous favorablement à  cela ?
Je ne dis jamais jamais, mais aujourd’hui, ce n’est pas d’actualité. Je pense à l’Olympique de Marseille à chaque réveil, au moment où je me rase. Je suis redevenu un supporter de base. Je regarde tout cela avec beaucoup de distance, mais mon retour n’est pas d’actualité.

Un possible départ de Neymar impacterait-il sur l’image de la Ligue 1 française ?
Je ne sais pas, parce que le Neymar d’aujourd’hui connaît beaucoup d’infortunes à faire oublier ses exploits sur le terrain. Pendant ces deux années, au moment crucial, il a fait défaut au PSG en Champions League. Neymar côté coulisse fait aussi beaucoup parler de lui, pas toujours en termes vraiment flatteurs. Pour ma part, son départ ne me gênerait pas.

La Caf ou la Fédération sénégalaise de football, laquelle de ces deux entités Pape Diouf serait partant pour la diriger ?
Aucune. Je ne suis pas partant pour diriger l’une ou l’autre de ces deux instances. J’insiste particulièrement, je ne cherche ni la Fsf ni la Caf. Ça ne m’intéresse pas du tout. Pour le moment, je prends le temps de lire les livres que j’ai accumulés et que n’ai toujours pas eu le temps de lire. Je prends le temps aussi de m’occuper de ma famille, je regarde parfois des matchs à la télé.

Les Echos